Entretien avec Marienne | 12/2/21

Abshir Aden Ferro, un Français futur président de la Somalie ?

Entretien

Propos recueillis par Stéphane Aubouard et Pierre Coudurier

Publié le 12/02/2021 à 11:57

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Candidat à la prochaine élection présidentielle somalienne qui devait avoir lieu le 8 février, ce descendant d'un roi local, espère réunifier le pays, garantir la paix et éliminer la corruption. Binational franco-somalien, éduqué dans l'hexagone, il compte sur ses réseaux à l'international pour atteindre son objectif. Entretien.

Ravagée par trente ans de guerre civile, la Somalie reste aujourd'hui un état fantoche. Le pays est d'ailleurs considéré comme le plus corrompu du monde par l'organisation "Transparency International". Les terroristes Shebabs (jeunes en Arabe), y contrôlent une bonne partie du territoire, ou ils imposent la charia, et harcèlent les forces gouvernementales. Dans la capitale Mogadiscio : hôtels, bâtiments d'états et forces de sécurité sont la cible constante des insurgés islamistes. Comme le 31 janvier 2021 ou trois personnes sont mortes et six autres ont été blessées à l'hôtel Afrik, près de l'aéroport. Les modes opératoires les plus courants sont les attaques au mortier et les attentats suicides suivis de raids armés.

Abshir Aden Ferro connaît mieux que personne la situation, lui, qui a échappé à plusieurs attentats. En rétablissant la sécurité, il souhaite éradiquer la corruption et réunifier le pays, afin d’éviter d'autres sécessions comme celle du Somaliland (Etat dissident du nord ouest de la Somalie, autoproclamé indépendant en 1991, et non reconnu par la communauté internationale, N.D.L.R.). Pour cela, il compte sur les chefs de tribu, réelle pierre angulaire de la politique intérieure du pays.
Petit fils d'une grande famille somalienne, Abshir Aden Ferro dont le grand-père était roi, est né à Mogadiscio mais se partage entre Paris, ville de son enfance et Londres ou il est P.-D.G. du groupe Fort Roche, dans le domaine de la sécurité. Pour "changer le destin de la Somalie", et tourner "définitivement la page de la guerre civile", Abshir Aden Ferro peut compter sur le soutien de réseaux français. Notamment Philippe Bohn, « l'ex Monsieur Afrique d'Airbus », actuellement à ses côtés à Mogadiscio, ou encore les anciens ministres Alain Madelin et Jean Marie Bockel.

Se voulant le "Monsieur Propre" de la Corne de l'Afrique, le président du parti "Alliance pour le futur" peut déjà se targuer d'une victoire juridique en France face à la corruption. Pour des soupçons liés à un appel d’offres, dans l'affaire de la construction d'un complexe européen sécurisé à Mogadiscio, il avait saisi le tribunal de commerce de Paris. Le 21 janvier 2021, il obtient gain de cause face à la compagnie Loseberger, et réussi à faire indemniser la société Abshir advisors.

De retour à Mogadiscio depuis une semaine, il doit mener campagne tout en restant discret, afin d'éviter d'être pris pour cible par les Shebabs. La veille de son départ, Marianne a pu obtenir une interview avec lui.


Marianne : L'élection présidentielle devait avoir lieu le 8 février, pourquoi celle-ci a-t-elle été reportée ?

Aden Abshir Ferro : Le gouvernement fédéral a décidé de décaler l'élection en raison des incidents de sécurité. En réalité, le président sortant Mohamed Abdullahi Mohamed alias Farmaajo, cherche par tous les moyens, à se maintenir au pouvoir deux ans de plus. Aujourd'hui il n'a plus de légitimité, et nous entrons dans une période d'incertitude. Cependant, même si le scrutin devrait avoir lieu, cette présidentielle ne sera pas une élection à proprement parler "démocratique". La promesse du président "one man one vote" ne se réalisera pas. Les 15 millions de Somaliens qui auraient voulu être concernés par cette élection, n'auront pas accès aux urnes. Suivant le processus électoral, ce sont précisément les chefs de clans qui vont élire le parlement, qui à son tour élira le président.


Comment pensez vous réussir à obtenir paix et prospérité dans ce pays, là ou les autres gouvernements ont échoué ? 

Cela fait vingt ans que je m'active en coulisses dans le but de redonner stabilité et prospérité au pays. Je défends les intérêts de la Somalie à l'international depuis autant de temps, notamment auprès de la diaspora, très présente à Londres. J'ai aussi participé à des sommets internationaux comme celui à l'Élysée consacré à la Paix et la sécurité en Afrique en décembre 2013. Le 4 janvier 2017 à Londres, j'étais invité à la conférence internationale sur la piraterie maritime, fléau qui gangrène les côtes somaliennes. La Somalie ne manque pas d'attraits ou d'atouts pour faire son come-back, et reprendre toute la place qu'est la sienne dans la Corne de l'Afrique. Après 30 ans de guerre civile, nous avons perdu la connexion avec le peuple. Chaque nouveau gouvernement travaille pour lui-même et non dans l'intérêt suprême de la nation.
Après 30 ans d'échec dans ce pays, j'ai décidé d'apporter mon savoir-faire. Je suis d'ailleurs le premier homme politique de la corne de l’Afrique à écrire un livre pour expliquer clairement mon programme et montrer mon intégrité.

"La corruption est une bactérie, et elle doit être gérée du bas vers le haut."


Ce rapport au livre à l'écriture, est-il lié en partie à vos années de collège et de lycée passées en région parisienne ? Quel impact votre jeunesse en France a-t-elle eu sur vous-même ?

Paris est la ville de mon enfance. Lorsque je suis arrivé il m'a été difficile de m'acclimater. Passer des belles plages ensoleillées de Mogadiscio, à la neige hivernale a été un choc. J'ai beaucoup travaillé pour apprendre la langue et je suis fier de revendiquer cette double nationalité, qui a forgé mon caractère. Dès l'âge de douze ans, j'ai intégré les scouts louveteaux, ou j’ai forgé des valeurs de solidarité, d'entraide et de respect. Mais j'ai aussi été marqué par des auteurs français. Montesquieu notamment. L'auteur des Lettres persanes m'a appris quelque chose de fondamental: qu'il faut se garder des mauvaises lois, car elles affaiblissent les bonnes. C'est ma conviction, il faut toujours lutter pour la liberté et protéger l'État de droit. Je ne porte pas de jugement sur l'État de la démocratie en France. Mais pour vouloir reconstruire un État en Somalie, je sais à quel point la liberté et l'équilibre réel des pouvoirs et contre-pouvoirs sont les seuls garants d'une société prospère.


Comment comptez vous lutter contre la corruption endémique de la Somalie ? 

La corruption est une bactérie, et elle doit être gérée du bas vers le haut. Tout d'abord je souhaite créer un ministère dédié à cette lutte. Aussi, je souhaite réintroduire le service militaire pour former nos jeunes, et leur donner les outils pour reconstruire le pays. C'est ce qui s'est passé en France après la seconde guerre mondiale.
On ne luttera pas contre ce fléau avec des armes et des places de prison. Il faut éduquer le système, tout en distinguant la corruption interne et externe. Sur ce dernier plan, comme mon procès gagné à Paris en témoigne, il y a de nombreux appels d'offres frauduleux qui se font au détriment des Somaliens. De l'autre côté il y a les corrupteurs internes qui récupèrent les dons caritatifs des organisations internationales ou corrompent les fonctionnaires. La plupart des aides internationales n'arrivent jamais dans les casseroles des Somaliens, et se retrouvent en vente sur les marchés noirs. Je compte sur les chefs de tribu pour m'aider dans cette lutte. Et c'est pourquoi je veux leur donner à chacun un salaire de 2 à 3000 dollars, car leur rôle est primordial pour mener à bien ce programme de nettoyage.


Les Shebabs s'assiéront-ils à la table des négociations? Et l'islam politique est-il compatible avec le modèle que vous voulez pour la Somalie ?

Au sujet de l'islam, il faut comprendre que c'est avant tout une religion de paix. Quand vous saluez quelqu'un en lui disant salam aleykoum, cela veut dire que dieu veille sur toi. Chaque pays a sa propre culture, je crois personnellement que viendra un temps où nous pourrons rassembler notre diaspora et unifier nos régions. Notre défi aujourd'hui est de réussir à cohabiter. Il y a 30 ans, nous avions des églises et pas de chaos, chacun était libre de suivre sa propre foi. L'important pour moi est, je le répète, d'avoir tous les chefs de tribu à ma table de travail. Je compte aussi inviter les shebabs à la table des négociations, contrairement aux précédents gouvernants qui ne l'ont pas fait. Sans dialogue il n'y a pas de paix. En revanche j'attendrais d'eux qu'ils lâchent leurs armes avant de commencer à discuter.

"Avec moi au pouvoir, ce sera le grand retour de la Somalie dans le concert des Nations."


Aujourd'hui, la Turquie, les Emirats Arabes Unis notamment sont très présents en Somalie, quels seront vos partenaires si vous êtes élu ?

La Somalie est située dans une position géopolitique stratégique. 30 % de l'énergie de la planète transite aux larges de ses eaux, par le Détroit d'Ormuz. Nous avons des ressources minérales phénoménales qui intéressent de nombreuses puissances : la Turquie, les États-Unis, la France, le Japon, les Emiratis, la Chine, la Grande-Bretagne, l'Arabie saoudite etc. Il y a aussi les Russes qui ont récemment installé leurs sous-marins au Soudan. Tout le monde s'intéresse soudainement à cette région. Aujourd'hui le président Farmaajo est soutenu principalement par la Turquie, les Éthiopiens et le Qatar.

Avec moi au pouvoir, ce sera le grand retour de la Somalie dans le concert des Nations. En Afrique bien sûr mais aussi au Moyen-Orient avec les pays ou nous entretenons des liens étroits. Ayant vécu dans ma jeunesse aux Émirats arabes unis, je m'emploierai à travailler avec eux car je connais la discipline et la force de travail des Emiratis et de leurs voisins de la péninsule arabique. Plus largement, nous souhaitons parler avec tout le monde, mais n'accepterons aucune ingérence. La Somalie doit être respectée comme un pays indépendant ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.


Quels sont les secteurs économiques sur lesquels vous pourrez miser en Somalie ?

Tout d'abord la diaspora est très importante. Elle contribue à hauteur de 1,2 Milliard au PIB du pays.

Ensuite, à l'intérieur de nos terres, il y a trois secteurs économiques importants : le bétail, la pêche et l'agriculture. Avec plus de 3300km de côtes, nos réserves de poisson sont abondantes. Pour exploiter encore davantage nos ressources hallieutiques, j'ai noué un contact avec de grandes sociétés bretonnes spécialisées dans la pêche, qui sont prêtes à travailler avec moi.

En outre, 5 millions de tête de bétail sont exportées chaque année, un chiffre qui pourrait encore largement évoluer avec plus de coordination. Nous avons aussi de grandes réserves d'eau, que nous n'arrivons pour le moment pas encore à exploiter. Mais il y a un préalable à tout cela: il appartient au peuple somalien de sécuriser son pays pour ensuite le faire prospérer. Aujourd'hui tout le monde travaille séparément. Une fois la sécurité rétablie, il faudra élaborer une stratégie commune avec toutes les régions et autres puissances, pour relever le pays.


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